vendredi 15 mai 2020

Conservateur


Le conservateur est une espèce politique qui se reconnait à son entêtement. En France, on les reconnait à leur fine analyse politique et à leurs idées iconoclastes... ou pas. C'est simple, si quelque chose va mal dans le pays, c'est de la faute aux 35 heures. Le gouvernement a commencé dès le début de la crise. La première loi d'urgence sanitaire a prévu de "permettre aux entreprises [...] de déroger de droit aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical". Ainsi dès les premiers jours du confinement, on a demandé à tout le monde de rester chez soi et en même temps aux personnes indispensables de travailler toujours plus.

Début mai, c'est l'institut Montaigne qui s'est penché sur le déconfinement. A crise inédite, on peut s'attendre à des idées révolutionnaires. Surtout de la part d'un think tank dont son président dit que "La mission que nous portons avec toute l’équipe de l’Institut est d’œuvrer pour l’efficacité de l’action publique, la cohésion sociale et la compétitivité de notre économie. C’est pourquoi notre ambition de chaque jour est d’innover, d’évaluer, de proposer et d’expérimenter à la poursuite de ces objectifs."
Question innovation, nous sommes servis dans cette note avec "neuf propositions concrètes pour rebondir face à la crise" :
  1. "Assouplir les verrous juridiques" : nos entreprises sont enfermées dans une prison de lois qui les séquestre dans la crise. Pour en sortir, les employeurs devraient pouvoir imposer le rachat de RTT jusqu'en 2022. Ce qui signifie tout simplement s'asseoir pendant 2 ans sur les 35 heures. Autre verrou à faire sauter, le repos quotidien dont le minimum est de 11h par jour. Permettre tant de repos entre la sortie et la reprise du travail est scandaleuse. Comment pourrions nous sortir de la crise si les salariés dorment ?
  2. "Donner des incitations nouvelles à l’accroissement du temps de travail..." : Là on innove chez Montaigne. Faire des heures supplémentaires c'est bien, mais ça coûte des sous, sauf... si on autorise les entreprises à les payer plus tard en les mélangeant avec la participation ou sous forme d'abondement dans des plans d'épargnes salariales. Autant dire que ça offre de nombreux tour de passe-passe pour que le salarié n'en voit jamais la couleur.
  3. "Toute formation figurant sur le plan de développement des compétences de l’entreprise pourrait être effectuée en dehors du temps de travail" : les entreprises ne vont tout de même plus payer les salariés pour qu'ils se forment ! Autant faire ça sur ces RTT (raté le point 1 les supprime, c'était pour voir si vous suiviez)
  4. "Supprimer le jeudi de l’Ascension comme jour férié" : le mois de mai est la hantise du conservateur avec le 1er mai, le 8 mai, l'ascension et la pentecôte. Avec tous ces jours fériés et les éventuels ponts, trop de monde se rapprochent des plages où lui sirote son spriz tous les week-ends. Libérez Deauville des prolos !
  5. "Proposer aux fonctionnaires de secteurs d’activités nécessaires à la vie économique ou en tensions d’accroître temporairement leur durée de travail, en contrepartie d’une rémunération supplémentaire" : Le public aussi doit sortir des 35h, mais ils sont trop bons, la rémunération augmenterait. Alors qu'actuellement,ces mêmes fonctionnaires peuvent déjà travailler plus longtemps et avoir une rémunération supplémentaires. On appelle ça les heures supplémentaires. La note précise que les crèches pourraient être concernées. Laissons nos enfants plus de 10 heures par jours dans les crèches, le personnel ne va pas du tout finir en burn out.
  6. "Supprimer la première semaine des vacances scolaires de la Toussaint en 2020" : les professeurs sont des fainéants et ils ne feraient que retrouver la situation d'avant 2012. Il n'y a pas de raison de se plaindre. Mais en quoi cette mesure permettrait de rebondir face à la crise ?  Pensent-ils que les parents ne travaillent jamais durant les vacances scolaires ? La seule explication que donne la note est que ça servirait aux élèves de rattraper le retard pris lors du confinement. Une logique imparable : 3 mois loin de l'école lors d'une année scolaire se rattrapent en 1 semaine l'année suivante.
  7. "Réexaminer la question de la durée et de l’aménagement du temps de travail dans les administrations publiques." : Vous pensiez que nous étions dans un état d'urgence temporaire ? Pérennisons le ! Personne ne s'est plaint durant la crise, ça veut donc dire qu'on peut pousser le bouchon toujours plus loin. 
  8. "Accroître les catégories éligibles aux forfaits jours dans la fonction publique" : réservé aux cadres à qui on considère qu'ils ne doivent pas compter leurs heures pour qu'un travail soit bien fait, on pourrait l'étendre à tous. Ainsi tout le monde pourrait travailler 10 heures par jour ou plus !
  9. "Diminuer le nombre de RTT dans la fonction publique, à titre provisoire." : cette proposition prise seule pourrait se traduire par "Faisons travailler plus les cadres sans les payer plus". La note propose un pourcentage de 5,8% qui, rapporté en nombres de jour, signifierait une hausse de plus de 10 jours de travail dans l'année. Cette proposition est encore plus savoureuse quand on la combine avec la précédente cherchant à augmenter la population cible. 

Bien sur Christian Jacob s'en ai fait l'écho à l'Assemblée Nationale. Cette rengaine est tellement attendue qu'elle fait dire à Martine Aubry : "La seule chose qui m'étonne c'est que monsieur Jacob, ou quelqu'un d'autre, ne nous ai pas dit que le Covid-19 venait des 35h. Le bêtisier, je le tiens jour après jour et il s'accroît lorsqu'il y a des difficultés".

L'autre marotte des conservateurs est l'impôt. Il faut moins d'impôt direct. Ca doit leur faire peur. Ca pourrait leur donner l'impression qu'on finance le fonctionnement de l'Etat (dont l'éducation, les soins et les équipements). Heureusement qu'il y a la TVA ! Cette TVA est un impôt magique. On ne sait pas combien on donne à l'Etat, voire on oublie qu'on la paye. Son principal avantage est que tout le monde la paye. On pourrait se méprendre mais le conservateur est pour toujours plus d'égalité. Pour lui, il est hors de question que certains payent des impôts spéciaux (comme l'ISF). Il est difficilement envisageable qu'un impôt soit progressif, c'est pourquoi on a inventé la "flat tax". Et surtout il est totalement injuste que ceux qui n'ont pas d'argent n'en payent pas. Pour contourner ce dernier point, le mieux est donc de jouer sur la TVA puisque même le pauvre est obligé de se nourrir, de s'habiller et de consommer. C'est donc sans surprise qu'aujourd'hui Sylvain Maillard, député LREM, appelle à la mise en place d'une "TVA sociale", comme celle que Sarkozy avait mis en place avant que François Hollande ne revienne dessus. Il faut bien avoir en tête que le terme "social" est purement cosmétique. La TVA sociale est loin d'être une aide sociale. Il faut vraiment la voir comme un impôt demandant de la solidarité de la part de ceux qui n'ont rien afin d'épargner ceux qui ont tout. Pour ces derniers, on préférera applaudir leur solidarité via des dons déductibles des impôts plutôt que de leur demander une participation supérieure via, au hasard, un impôt sur la fortune.

A l'heure où la gauche se réunit dans tous les sens, propose chaque semaine des dizaines et des centaines de propositions pour le monde d'après, j'en profite d'ailleurs pour promouvoir cette Initiative commune pour construire l'avenir qui réunit entre autres Guillaume Balas, Julia Cagé, Ian Brossat,  Cécile Duflot, Guillaume Duval, Aurélie Filippetti, Olivier Faure, Najat Vallaud-Belkacem, Olivier Piolle ou Laurence Rossignol, les partisans de droite doivent être rassurés de voir que leurs champions conservent toujours les bonnes vieilles recettes du passé.

Je souhaite pour mon monde d'après un monde toujours un peu plus écolo avec toujours moins de conservateurs...

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