samedi 23 mai 2020

Comparution

Durant cette période de confinement, j'ai réussi à trouver le temps de lire des livres que je ne lis pas habituellement. Ce sont des livres que je préfère lire pendant mes vacances car ils sont soit beaucoup trop volumineux pour être embarqués dans les transports en commun, soit trop anciens et j'ai peur de les abimer. Ils ont cette fois-ci le point commun de parler de la période communiste et de la comparution de communistes convaincus dans les procès fous voulus par Staline.

Le premier ouvrage, je l'avais commencé l'été dernier (La maison éternelle de Yuri Slezkine aux éditions de La Découverte). Un énorme livre (1 296 pages) racontant toute l'histoire de l'URSS en suivant des dizaines de familles communistes de premier ordre vivant dans ce batiment appelé aussi "Maison sur le quai". Il s'agit d'un immense immeuble construit dans un marécage au coeur de Moscou, prévu pour accueillir les plus grands dignitaires communistes. On y apprend par le détail la façon d'envisager l'éducation (pour que les futures générations soient composées que d'hommes et de femmes parfaits), l'amour et la famille (les différents visions sur le mariage, les nombreux divorces, les familles recomposées), la jeunesse, la culture (l'importance de la littérature et du théâtre et leur utilisation politique). Ce livre suivant les traces de grands communistes, il ne peut pas faire l'impasse sur la folie des purges staliniennes (les 2/3 de l'immeuble auraient été visés à un moment ou un autre). Comment certains font actes de repentance pour avoir oser former des courants minoritaires au sein du parti communiste, comment tous ont vécu dans la crainte de l'arrestation, du procès, de l'emprisonnement et surtout de la déportation, l'importance de l'assassinat de Kirov, des premiers procès de Zinoviev et de Kamenev, de Boukharine). On lit aussi les conséquences pour les familles (femmes et enfants, frères et soeurs) de ces "traitres" à la patrie. C'est un livre grandiose pour quiconque s'interroge sur la vie en URSS selon le modèle communiste car toutes ces personnes n'avaient qu'une seule exigence, vivre et élever leurs enfants comme de bons communistes. Malgré tous ces efforts, ils finissent presque tous coupables, emprisonnés, déportés, exécutés. Je suis toujours fasciné par l'organisation, par la construction de cette volonté de purger tout un pays de ses meilleurs éléments pour asseoir un pouvoir et le rendre incontestable. Je me demande comment les réflexions et les discussions ont évolué pour arriver à un tel résultat.
Dans ce livre Yuri Slezkine compare le communisme aux autres grandes religions qu'il appelle "sectes millénaristes" car tous ont en commun la promesse d'un monde meilleur, la création d'un homme parfait et la construction d'un monde meilleur. En suivant cette comparaison, la vitesse de mise en place du communisme en Russie, les progrès atteints en à peine une génération sont incroyables. Les pertes et les sacrifices le sont encore plus.

Le confinement durant, j'ai enchainé sur l'Aveu d'Artur London. J'ai "hérité" d'une édition que l'auteur avait dédicacée à une communiste résistante et déportée à Mathausen comme lui. Dans ce livre, l'auteur, vice-ministre tchécoslovaque des Affaires Etrangères au début du livre, ancien des Brigades Internationales en Espagne, ancien résistant en France puis déporté en Allemagne, explique l'enfer qu'il endurera pendant 4 ans dans les prisons de son pays. On y apprend les tortures subies durant deux ans pour monter de toutes pièces un procès contre un pseudo centre d'espionnage contre l'Etat puis les conditions de détentions effroyables vécues les deux années suivantes en luttant pour sa libération et la sécurité de sa famille. Dans cet ouvrage, on y voit l'amour et la confiance absolu des militants communistes pour leur parti. On découvre qu'une femme peut demander le divorce car elle préfère vivre comme une bonne communiste plutôt que de vivre aux côté d'un traitre au communisme. J'y découvre qu'à l'époque le PCF était si influent qu'il était acteur d'une diplomatie parallèle avec les "pays frères".
Le plus effrayant est que le procès paraît plus vrai que nature : les accusés sont jugés au sein d'un vrai tribunal, avec un véritable juge, un procureur, ils sont défendus par des avocats. Pourtant ce procès est une pièce de théâtre où chaque acteur récite mot à mot le texte choisi par les émissaires soviétiques. Résultat, la presse couvre le procès et personne à l'extérieur ne peut deviner que les aveux sont faux et que l'issue est truquée. La situation est pire que nos "fake news", nos "ça ne peut être que vrai ils l'ont dit sur facebook" puisque tous les médias de référence ne peuvent que tomber dans le panneau. En lisant ce récit, je ne pouvais m'empêcher de penser que si la situation se reproduisait, nous ne pourrions que très difficilement le savoir. Des lanceurs d'alerte crieraient au complot mais seraient relégués au rang de vulgaires hurluberlus. De sages journalistes décrypteraient le tout et prouveraient par "a + b" le faux complot puisque dans les procès verbaux, dans les récits des journalistes présents, dans les aveux des accusés, tout coïncident. Des hordes de twittos s'acharneraient sur ceux qui reviendraient sur leurs dépositions en ressortant toujours et toujours les mêmes tweets, les mêmes extraits, les mêmes images d'archives. En lisant, je repensais aux Ze et à ces fous, ex soutiens de Hollande et à présent chiens de garde du macronisme. Je me demandais (et me demande toujours) s'ils ont conscience que leur comportement n'est que l'adaptation du stalinisme au XXIe siècle...

Toute cette lecture historique est passionnante. Elle permet aussi de mettre en comparaison l'époque dans laquelle on vit avec ce passé pas si lointain. Dans l'actualité judiciaire du moment, de nombreuses plaintes ont été déposées pour faire comparaitre nos gouvernants devant la Cour de Justice de la République (CJR). Le 20 mai, il y avait plus de 100 plaintes contre le gouvernement ou contre X pour mise en danger de la vie d’autrui (punie d’un an de prison), ou parce que le gouvernement se serait abstenu "volontairement de prendre les mesures permettant de combattre un sinistre de nature à créer un danger ou un risque pour la sécurité des personnes". Je suis un peu gêné par tout ça. Tout d'abord gêné par le fait que cette CJR existe toujours alors que c'était une des promesses de François Hollande d'y mettre fin. Pour cela il aurait fallu qu'on assiste à cette tant attendue tentative de réforme de la constitution qui aurait permis aux étrangers de voter aux élections locales et donc de mettre fin à cette justice d'exception.
Ces plaintes me gênent car si je suis assez convaincu que ce gouvernement n'a pas toujours fait les bons choix ou pas au bons moments, ce n'est pas à la justice de le sanctionner mais aux Français dans les urnes. J'ai l'impression qu'une plainte contre nos ministres (le chef de l'Etat est intouchable) n'aurait éventuellement du sens qu'après la tempête, si des enquêtes montraient qu'il y avait une volonté délibérée de nuire à la santé des Français en leur cachant des informations. Je ne pense pas que la tenue du premier tour des élections municipales ou le non renouvellement du stock de masques soient des pénalement répréhensibles. Je suis plutôt en phase avec Laurence Rossignol quand elle dit qu'"il ne faut pas confondre faute pénale et faute politique. C’est pourquoi je suis favorable à une commission d’enquête parlementaire, qui devra dire ensuite si des infractions pénales ont été commises."

Pour finir sur ce billet "lecture et justice", juste avant ce confinement, j'ai lu la magnifique autobiographie de Henri Leclerc (La parole et l'action, Fayard), avocat pénaliste et ancien président de la Ligue des Droits de l'Homme. Au fil des chapitres, l'homme montre ce qu'est être militant (au PSU et à la LdH). Il y décrit de la plus belle des manières le métier d'avocat, l'ambiance des procès. Je pense que si j'avais lu ce livre étant adolescent, je serais devenu avocat.

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