samedi 9 mai 2020

Conceptualiser

Depuis le début de la crise, beaucoup de personnes imaginent le monde d'après. La rengaine du "plus jamais ça" est connue. On l'a entendue suite au 21 avril 2002 (sans que ça n'affole plus que ça les consciences les années suivantes). On l'entend après chaque drame sans voir de véritables actions par la suite. En ce 9 mai, lendemain de la journée "extrêmes droites, plus jamais ça", je me lance au jeu de conceptualiser ce monde de demain pour qu'on puisse dire que ce genre de crise, plus jamais ça !
Depuis le début du confinement, on a le droit à la fin de la surconsommation, au respect du personnel médical, à la solidarité. Que restera-t-il de tout cela à la fin ? Que restera-t-il de tout cela dans un ou deux ans quand la campagne de l'élection présidentielle battra son plein ?
Pour les comportements individuels, je n'ai que peu d'espoir à une consommation plus responsable. Après une période de privation, le réflexe est inverse. Consommons, achetons et c'est sûrement mieux pour aider la relance de notre économie.

Pour les comportements collectifs, il faudra des gestes forts de l'Etat. N'espérons pas grand chose de ce gouvernement qui n'a pour boussole que son propre profit et qui arrive à se mettre à dos toujours plus de monde, même au sein de ses parlementaires (on parle fortement d'une scission du groupe LREM à l'Assemblée Nationale qui signerait la fin de la majorité absolue du groupe présidentiel). Pourtant il va être nécessaire que l'action publique soit forte si on veut que notre monde d'après soit capable de faire face à de nouvelles crises sanitaires, environnementales ou autres. Il est donc temps d'essayer de conceptualiser ce que pourrait être la suite. Dans cet exercice, je ne m’embarrasse pas des questions financières. Tout d'abord parce que ce n'est pas mon boulot et que je n'en ai pas la moindre idée. Ensuite parce qu'il faudra aussi confronter le coût de la mise en place de certaines idées avec le coût de l'inaction. Le confinement dû au COVID-19 aura un coût significatif pour l'Etat. En utilisant les mêmes montants pour éviter que ça se reproduise, on doit pouvoir faire de belles choses.

On peut commencer par la Santé. Le personnel hospitalier criait depuis plus d'un an au manque de moyen. La première chose doit être une remise en l'état de notre système. Il faut arrêter de croire au charme de l'ambulatoire partout. Le maintien des centres hospitaliers sur tout le territoire pour lutter contre les déserts médicaux est un passage obligé si on veut éviter toute saturation dans les grands centres hospitaliers régionaux.

Améliorer la Santé passe aussi contre la lutte contre la pauvreté. Est-ce une coïncidence si les "zones rouges" de la présence du virus correspondent aux zones souffrant de désindustrialisation et de chômage de masse ? En agissant contre les inégalités sociales, on lutte contre leur exposition au virus mais aussi aux autres maladies (obésité, hypertension ou diabète).

Il est temps, et de nombreux autres pays l'ont évoqué durant cette crise, de mettre en place un système de revenu universel pour que tout le monde dispose de quoi survivre. Ce revenu universel permettrait de subvenir aux premiers besoins par temps de crise quand l'économie et l'emploi est à l'arrêt. Il doit permettre d'aider aussi à relancer l'économie lors du redémarrage mais aussi d'aider les victimes collatérales de la crise, victimes qui auraient vu leurs sources de revenus se tarir aussi bien suite à un licenciement qu'à la perte du partenaire qui était le principal pourvoyeur de liquidités dans le foyer.

Autre champ d'action, l'Education. On voit que la surpopulation des classes rend difficile le retour à la normal et facilite la transmission de maladies. Si le ministre de l'Education Nationale se vante d'un million d'écoliers qui reprendront l'école vers le 11 mai, il oublie de mentionner qu'en temps normal ils sont 6 714 000 élèves dans le primaire. Pour un enfant qui retourne à l'école, plus de 5 resteront chez eux à essayer de suivre des cours à distance. On peut légitimement penser que si on réduit le nombre d'élèves par classe, si on s'approche d'un nombre tournant autour de la quinzaine d'enfants, on pourrait arriver à avoir des classes ouvertes même en temps de crise. Gros avantage pour les enfants qui bénéficieraient d'un meilleur enseignement tout au long de leur scolarité. C'est d'ailleurs globalement le schéma retenu dans les écoles des zones classées prioritaires aujourd'hui.
L'autre condition est la valorisation du rôle de l'enseignant, on rejoint ici la problématique des personnels soignants. Les parents ont bien vu durant ces mois de confinement la difficulté d'enseigner et de garder la concentration de leur progéniture. Imaginez le travail que ça implique pour une classe entière, de l'énergie que ça demande durant les heures de cours mais aussi de la préparation nécessaire pour que chaque cours soit une réussite. Au delà de l'urgence d'arrêter de décrire le personnel enseignant comme un groupe de privilégiés ne travaillant que trop peu, il est nécessaire de redorer le blason de ce corps afin de lui redonner toute la gratification morale et financière qu'il mérite. On relancera ainsi les vocations car nous aurons besoin de monde pour enseigner dans toutes ces classes à effectifs réduits.

Autre piste de progrès possible, le développement des supports de cours en ligne. Ce confinement l'a douloureusement montré, il est difficile d'enseigner à distance. Si on cherche à développer les cours en ligne, en se donnant des moyens et du temps, on se facilitera la tâche par temps de crise générale. Ces supports seraient aussi utilisables tout au long de l'année. Un élève qui comprend mal, un autre qui est souvent absent, l'accès à des ressources en ligne leur permettront de limiter le retard. Autre support, la télévision. Le gouvernement cherche à supprimer la chaîne France 4 après qu'ait été supprimée il y a plusieurs années la chaine France 5 dédiée à l'enfance et à l'éducation. Cette crise montre qu'il est de la responsabilité de l'Etat de mettre à disposition des contenus adaptés aux enfants (contenus éducatifs ou non). Seule une chaîne publique peut garantir un contenu sans être sous l'influence de la publicité et des sources de financement.

On peut enchaîner sur la desserte du territoire. Si on veut développer les cours en ligne, il faut que tout le territoire puisse avoir accès à un internet à haut débit. Accéder à des flux vidéos non saccadés pour apprendre, pour communiquer, pour travailler est tout aussi nécessaire que l'accès à l'électricité et à l'eau courante. De grands chantiers et des lois garantissent depuis des décennies la distribution de l'électricité sur tout le territoire à un tarif unique, principe du timbre poste. Au XXIe siècle, l'Etat ne devrait pas avoir le droit de chercher à dématérialiser toutes les démarches administratives sans s'être assuré au préalable d'un accès satisfaisant à internet sur 100% du territoire.

La développement des territoires passe aussi par le développement et le progressisme en matière de locomotion. Il ne faudrait pas que cette crise provoque un repli sur le tout automobile comme seule solution pour un déplacement sans risque de contagion. On troquerait ainsi de nouvelles crises épidémiologiques contre de nouvelles crises environnementales.
On voit les grandes villes créer des centaines de kilomètres de pistes cyclables en quelques nuits pour permettre une alternative saine et raisonnable aux transports en commun. Un avenir plus sain doit aussi passer par plus de transports en commun. Plus l'offre est conséquente, moins les lignes sont bondées de monde. Certaines agglomérations ont un réseau de bus avec un passage une fois par heure. On peut être sur que les passages de 8h et 9h seront bien trop remplis et donc à risque pour les travailleurs. C'est la même chose avec l'offre de trains sur des moyennes distances. Dans l'Oise où j'ai grandi, il y a 30 ans il y avait une gare dans chaque village traversé. Les trains omnibus permettaient de se rendre d'un village à un autre sans utiliser sa voiture. Ces arrêts sont devenus inexistants et on peut difficilement imposés à toute la population de prendre son vélo pour parcourir les 5 à 10 kilomètres qui les sépare d'un rendez-vous médical ou de leur emploi. Une offre plus large de bus et de trains répondrait à cette demande. La diminution de la circulation automobile associée permettrait la mise en place de vraies voies cyclables le long des grands axes et des axes secondaires. Ces questions n'impactent pas que les grandes villes mais aussi et surtout les petites villes et grands villages, regroupés en communautés de communes sans avoir tous les moyens de circuler dans cette communauté.

Il y a de nombreux autres sujets à aborder pour conceptualiser ce monde d'après que ce soit dans les conditions de travail et de télétravail, dans la façon d'aborder la justice et le système répressif et carcéral, dans la manière de garantir une vie culturelle quelle que soit sa forme.
Toutes ses thématiques doivent être abordées avec des objectifs centrés sur l'humain et sur la façon d'empêcher la venue d'une nouvelle crise. Il serait dommage d'aborder les mêmes thèmes uniquement sous l'angle du coût et des profits immédiats car le nouveau monde ne sera pas si personne n'est là pour le faire tourner.

2 commentaires:

  1. Chiffrage de toutes ces propositions ?

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    1. Comme je l'ai écrit : "Dans cet exercice, je ne m’embarrasse pas des questions financières. Tout d'abord parce que ce n'est pas mon boulot et que je n'en ai pas la moindre idée."
      Je pourrais aussi chercher combien le gouvernement a mis pour acheter en urgence des masques, pour renflouer Air France et plein d'autres exemples pour montrer que cet argent peut aussi être utilisé à bon escient avant la crise.

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